De très nombreux enfants naissent encore sans être enregistrés à l’état civil, ce qui les conduit souvent à une vie d’exclusion. Un problème que les États africains, mais aussi les ONG et la société civile, se doivent de prendre à bras le corps.
Avoir un nom, une identité officielle, une nationalité reconnue par tous et partout. Pour l’inconscient collectif, cela semble être une évidence. Dans de nombreuses régions et, singulièrement, en Afrique subsaharienne, cela n’est pourtant pas toujours une « formalité ». Dans le monde, 230 millions d’enfants ne sont pas enregistrés sur les registres d’état civil, l’Asie en abritant la majeure partie (59 %), suivie de l’Afrique subsaharienne (37 %). Des enfants qui deviennent « invisibles » dans leur propre pays.
C’est la raison pour laquelle j’ai personnellement tenu à recevoir, le 23 octobre, Madame Marie-Pierre Poirier, la directrice régionale de l’Unicef pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, dont je salue l’engagement et les efforts. L’occasion de faire ensemble le point sur la situation des droits des enfants dans la sous-région et de discuter de l’enregistrement des naissances, de l’élaboration des extraits d’actes de naissance pour tous les enfants et de la lutte contre le travail des plus jeunes – autant de sujets inextricablement liés.
SEULS 3% DES ENFANTS SOMALIENS, 4% DES ENFANTS LIBÉRIENS ET 7% DES ENFANTS ÉTHIOPIENS SONT INSCRITS SUR LES REGISTRES D’ÉTAT CIVIL
Un phénomène criant
Dans le monde, selon l’Unicef, environ 35 % de la population des enfants de moins de cinq ans n’a jamais été enregistrée. Un phénomène particulièrement criant dans certains pays d’Afrique : seuls 3% des enfants Somaliens, 4% des enfants Libériens et 7% des enfants Éthiopiens sont inscrits sur les registres d’état civil. Toujours selon l’Unicef, à Madagascar, 2,5 millions d’enfants sont sans existence légale.
Il existe également des disparités à l’intérieur de ces pays. Comme partout dans le monde, les enfants nés en ville ont davantage de chances d’être enregistrés que ceux vivant au sein de zones rurales, souvent éloignées des centres administratifs. De même, un enfant issu des 20% des ménages les plus pauvres a moins de chances d’être enregistré que les autres. Enfin, les enfants issus de minorités ethniques ou de familles réfugiées sont encore plus susceptibles de n’apparaître sur aucun registre d’État.
Souvent sans le savoir, et presque toujours sans le vouloir, ces enfants naissent, grandissent et meurent dans l’anonymat. Ce sont des citoyens qui existent bel et bien, physiquement, mais qui n’existent pas légalement. Ils deviennent des étrangers dans leur propre pays. Sans acte de naissance, impossible de faire la preuve de son âge, ni de sa filiation biologique, ni de son identité. Impossible aussi de se faire établir des papiers officiels, comme un passeport.
UN ENFANT SANS ACTE DE NAISSANCE ENCOURT LE RISQUE DE RESTER TOUTE SA VIE EN MARGE DE LA SOCIÉTÉ
Les conséquences du défaut d’enregistrement
Les causes du défaut d’enregistrement des enfants sont connues. Par méconnaissance ou ignorance des procédures officielles, de nombreux parents se contentent des cérémonies rituelles ou coutumières, voire des fiches de naissances transmises par les maternités. Les crises politiques, guerres et déplacements de populations contribuent aussi à ce qu’ils se détournent de procédures qui n’apparaissent pas comme vitales sur le moment.
Les conséquences de l’absence d’enregistrement sont, elles aussi, connues, et potentiellement dramatiques. Un enfant sans acte de naissance n’existe pas au regard de la loi. Il encourt le risque de rester toute sa vie en marge de la société, et d’éprouver les plus grandes difficultés à accéder aux soins de santé, à l’éducation et à l’aide sociale. Les enfants non enregistrés sont parmi les premiers à souffrir de discrimination et de maltraitance. Leur âge ne pouvant être prouvé, ils sont les premières victimes du travail des enfants, de la traite et, pour les filles, du mariage forcé.
États, société civile et ONG s’engagent pour les enfants
Bien conscients que cette problématique rejaillit sur l’ensemble de leurs données macroéconomiques et, in fine, sur l’efficacité des politiques qu’ils mettent en place, la plupart des États du continent ont entrepris des mesures pour enregistrer leurs populations. Certains, comme la Côte d’Ivoire, mettent par exemple sur pied des « audiences foraines », qui circulent dans le pays afin que les personnes sans papier puissent se faire établir un certificat de naissance.
Comme je l’ai indiqué à Madame Marie-Pierre Poirier lors de sa visite, le ministre ivoirien de l’Intérieur, celui de la Justice et moi-même avons également lancé une grande opération spéciale en Côte d’Ivoire. Elle permet à toutes celles et ceux qui se présentent à l’entrée en classe de sixième d’avoir un certificat d’étude et, par-là, de s’assurer qu’ils disposent d’un certificat de naissance. Une initiative qui pourrait inspirer d’autres pays du continent.
Enfin, je tiens à rappeler que prendre soin des enfants défavorisés est la mission même de la Fondation Children of Africa, que je préside. Depuis vingt ans, nous n’avons de cesse de venir en aide aux enfants les plus démunis, grâce notamment à la Case des enfants.
Nous engageons de nombreuses actions en faveur de la santé (caravanes ophtalmologiques, hôpital mère-enfant de Bingerville, etc.), de l’éducation (Bibliobus, fourniture de kits scolaires, etc.) et nous luttons de toutes nos forces contre les pires formes de travail et la traite dont sont encore victimes de trop nombreux enfants. Autant d’efforts qui contribuent à leur donner ce qu’il y a de plus précieux : une identité.
Avec Jeune AFrique